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Les Idées Éparpillées
2 août 2016

Penser pour ne rien dire

Une des premières choses que nous apprenons est la parole. Déjà tout petit, les adultes lambda les plus proches de nous s’affairent à transformer nos gazouillis en mots, puis en phrases, psycho-tangibles, compréhensibles, d’abord pour eux, puis pour le reste des personnes qui partagent la langue que nous apprenons. Parfois même avant qu’elles soient totalement comprises de nous-mêmes.

Aujourd’hui, on nous apprend beaucoup à penser. Quand on a intégré la parole comme étant moyen d’expression, la famille d’abord, l’école ensuite, nous inculquent des méthodes diverses pour apprendre, réfléchir. Des formules à appliquer, des questions soulevées… Tout un arsenal de dispositifs pour faire travailler nos méninges. En fait, ce n’est pas propre à aujourd’hui; ça fait longtemps que ça marche comme ça.

La différence c’est qu’à notre époque (je parle ici des individus, et à plus grande échelle des sociétés ayant couramment accès à la télévision, à Internet…), nous sommes encerclés par l’Information. À toute heure du jour ou de la nuit, et même quand nous ne la cherchons pas, l’Information vient à nous. Et dans ces mêmes sociétés, il est inconcevable de ne pas penser. De la collision de ces deux éléments (l’omniprésence de l’Information et l’apprentissage de la réflexion) résulte bien souvent des conséquences dont nous ne mesurons pas forcément l’ampleur.

Parce qu’il est inconcevable de ne pas avoir d’opinion, tout le monde se rue sur le dernier article social, politique, pour y aller de son commentaire. Seulement, en plus d’être omniprésente, l’Information est également de plus en plus rapide. Alors bien entendu, il faut qu’on pense à son rythme, pour pouvoir s’exprimer partout, tout le temps, avant les autres, être le premier à l’ouvrir à tout prix. Cela crée des phénomènes de micro-luttes stériles, où le diviser pour mieux régner pullule désormais sous chaque publication Facebook de n’importe quel média. Les commentaires s’accumulent, personne ne lâche son morceau, les inepties s’enchaînent, la fierté de coq s’en mêle. Au final, le noyau même du sujet de base se retrouve noyé dans une guerre d’égos.

On tape du poing sur la table, du doigt sur le clavier. Parce qu’on a pas le droit de ne pas penser. L’opinion n’est plus une liberté mais un devoir. On se doit de faire bouillir notre matière grise pour mieux savoir mieux que tout le monde.

Cette année pendant mes cours, j’ai souvent entendu la phrase suivante : « Écrire c’est réécrire. »  Et si, penser, penser pour de vrai… C’était repenser ?

Car à vouloir aller trop vite, on oublie plusieurs étapes : essayer de dégager sa réflexion de l’impact émotionnel, essayer de la globaliser, de l’appliquer à une échelle autre que notre quotidien, notre quotidien à nous, plus en tant que société, mais en tant qu’individu. Le travail de la pensée, on nous le prémâche, on nous le vomit. On pense avec nos œillères perceptives. Du coup, avec la fast-thought, on prend pas le temps de changer notre pied d’appui. Et avec ça, on parle aussi pour les autres, ceux qui n’ont pas la parole. On perpétue, volontairement ou non, un système de pensée dominante. On ne prend pas le temps de repenser notre position, notre point de vue, nos privilèges. On ne prend pas le temps de se dire « Tiens, qu’en est-il pour tel individu, ou telle société, qui n’a pas les mêmes conditions de vie, pas le même mode de vie ? ». On tolère au lieu d’intégrer. Parce qu’on accepte l’autre… Mais pas trop près de nous quand même. Parce qu’il faut conserver la hiérarchie sociale, la norme, et surtout pas se dire que peut-être, des normes, il pourrait il y en avoir plusieurs. Et non vous en faites pas, on veut pas vous retirer vos petites pantoufles; juste en donner aussi à d’autres.

Moi aussi je le fais. Par réflexe cognitif, souvent, je me lance à cerveau perdu dans cette course à l’opinion. Ce que j’écris là après tout, c’est une opinion. Puis même en essayant de repenser, je ne pourrais pas dire que je comprends ce que je n’ai pas vécu (parce que ça aussi c’est une manière de retirer la parole).

Mais j’essaye de me dire que penser trop vite, parler trop fort, c’est aussi prendre le risque d’encenser ce qui devrait être tu. Car à force d’élever la voix pour des choses futiles, pour des personnalités consternantes, on oublie que c’est la puissante union de nos gorges déployées qui portent ces choses au sommet.

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Commentaires
M
Je rejoins ton coup de gueule, enfin... ton opinion :)<br /> <br /> <br /> <br /> Penser ne suffit pas pour être un être humain. Encore faut-il être capable de penser par et pour soi-même.<br /> <br /> Je me demande si cette sphère hyper-social ne rend pas les opinions "socialement acceptables". Je me demande même s'il n'existe pas un devoir de commenter.<br /> <br /> <br /> <br /> Je reste persuadé qu'une opinion argumentée avec des données fiables peut permettre de convaincre (enfin, mon blog a cette prétention). <br /> <br /> Me semble t'il : On apprend à penser par soi-même en pensant avec les autres.
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